« Raisonner en trois dimensions nous permet de faire d’une pierre trois coups avec le végétal. »

Point de vue - Le 23 juin 2023


Vue d’ensemble du projet Le Ray. ©Jean-Frédéric Gay.


Champ d’expérimentation végétale et pari sur le moyen terme : situé au cœur d’un parc public paysager de 3 hectares, l’écoquartier du Ray à Nice est, pour l’heure, le plus grand projet immobilier à façades végétalisées d’Europe1. Jean-Frédéric Gay et Nathalie Melin, paysagistes fondateurs de la Compagnie du Paysage et artisans de sa conception, nous évoquent le mode de développement et de gestion de ce projet innovant…

 

Comment ce projet immobilier inédit intègre-t-il la composante végétale et la culture de la Riviera ?

Le contexte initial, avec la démolition de l’ancien stade, a eu deux conséquences importantes. D’une part, la demande de relocalisation de certaines infrastructures sportives tels que le gymnase consacré à l’escrime qui, au bout du compte, ont été intégrés dans le projet. Et d’autre part le fait de partir d’une assiette complètement minéralisée avec des surfaces importantes d’enrobés. Autrement dit, un environnement très hostile, artificialisé et imperméabilisé qu’il fallait nécessairement renaturer. Notre parti pris a été de reconstituer un paysage originel méditerranéen, à la fois inspiré de la culture de l’exotisme – emblématique de la Riviera de Nice à Menton –, et des Hauts-Niçois avec la valorisation de la garrigue et de la pinède. Nous avons inséré la végétation tropicale au cœur du projet, via le jardin extravagant, pour qu’elle soit en quelque sorte protégée par la végétation indigène endémique qui l’entoure.

 

Comment s’est engagé et traduit ce dialogue entre l’architecture et l’aménagement paysager ?

Le lauréat du concours, Édouard François, est l’un des rares architectes français qui associe à sa construction le végétal. La genèse du projet vient de là… Comme nous avions déjà eu l’occasion de collaborer, en Normandie notamment, la jonction s’est faite naturellement et a apporté une cohérence d’ensemble. Aujourd’hui, on ne fait plus la différence entre le parc et l’opération du promoteur2. Cette intention s’est traduite très concrètement par une hyper végétalisation. En symbiose avec d’autres professionnels (environnementalistes, bureaux d'études de développement durable, etc.), nous sommes en effet arrivés à la conclusion que, pour répondre efficacement aux multiples enjeux environnementaux, le paysage urbain devait être tridimensionnel : il fallait végétaliser le sol, les façades et les toits. Le sol, en maximisant la pleine terre le plus possible et en révisant le rapport à la gestion des eaux pluviales. Les façades, pour protéger des rayons ultraviolets, favoriser les îlots de fraîcheur3, mieux ventiler les logements, mais aussi permettre à la biodiversité de remonter jusqu’à la troisième dimension, celle de la terrasse4.

 

Détail des jardinières du projet Le Ray © Jean-Frédéric Gay / Vinci

Détail des jardinières du projet Le Ray © Jean-Frédéric Gay / VinciQuelles contraintes spécifiques ont dû être prises en compte ?

Nous nous sommes appuyés sur une structuration de jardinières assez simples et légères5. La ville de Nice ne voulait pas s’engager sur un projet trop high-tech qui n’anticipe pas suffisamment la gestion et l’exploitation au quotidien. Nous nous sommes donc orientés sur un système centralisé, à la fois au niveau de la végétalisation et de son entretien, et de celui de l’irrigation. Le dispositif, flexible6, permet d’assurer une gestion globale depuis l’extérieur par le biais de nacelles qui créent des cheminements piétonniers et permettent un entretien intégral des façades à la verticale, arrosage inclus.

 

 

Comment cela fonctionne-t-il et quels sont les points de vigilance ?

Les jardinières sont ensemencées de plantes grimpantes7 dans l’optique de végétaliser à terme les six niveaux de chaque bâtiment. Ces plantes volubiles s’appuient aussi sur un maillage de treilles en bois de robinier, une essence très dure et résistante, et un câblage en inox. Du sol au toit, par le relais des jardinières, c’est un fin et complexe travail de continuité végétale qui vient progressivement scénographier les façades. Les murs en eux-mêmes ont été laissés volontairement en béton brut pour que le végétal en constitue successivement l’enveloppe. C’est aussi un moyen d’éviter un futur ravalement, impossible à réaliser avec les structures en place… Initialement les plantes caduques et semi persistantes représentaient 50 % des végétaux plantés avec comme défaut d’appauvrir certaines zones en hiver8. Pour palier cela, Vinci a injecté 60 000 euros supplémentaires pour regarnir des jardinières avec davantage de plantes persistantes.

 

Qu’est-ce que l’anastomose des voies aériennes ?

Certaines espèces de plantes parviennent à se greffer entre elles et cette forme d’hybridation leur permet de se transmettre des informations, notamment en termes de besoins hydriques. Le principe, bien étudié par les Allemands, consiste à créer une liaison entre les plantes de pleine terre au pied des façades et les plantes des pots en hauteur. Sur l’opération du Ray, nous l’expérimentons ponctuellement avec un relais tous les deux étages. Si cette solution semble prometteuse, il faut toutefois attendre 5 ans pour que la couverture végétale arrive à maturité et vérifier son efficacité ! Donnons-nous donc rendez-vous dans 3 ans …
Quelles compétences paysagères particulières sont nécessaires pour un projet d’hyper végétalisation ?
Il s’agit indéniablement de chantiers très techniques qui exigent, entre autres, de savoir anticiper sur le développement du végétal avec à la clé de possibles extrapolations à vérifier dans le temps. Un autre point fondamental est celui de centraliser l’entretien qui doit être confié à une unique entreprise d’espaces verts avec un suivi d’au moins 3 ans9 (avec interdiction aux locataires et propriétaires d’intervenir sur les façades). C’est le temps nécessaire au végétal pour se développer et bien investir les lieux. Il faut aussi que tous les plans et les détails d'exécution figurent en annexe des règlements de copropriété pour conserver la mémoire de la conception originelle. Enfin, il faut se rendre autonome dans la gestion des eaux pluviales. Dans notre cas, les eaux en provenance des toits sont récupérées et stockées dans une citerne de 300 m3 installée sous les rampes de parking. Cela permet au complexe de rester verdoyant, même lors des restrictions hydriques estivales.

 

Le mot de la fin ?

Le mariage de l’architecture et du végétal dégage une impression de sérénité et d’apaisement tout en augmentant le sentiment de bien-être des habitants. Grâce à ce genre d’opération, nous avons l’espoir que le citadin retrouve un contact réel avec la vraie nature !

 

 

1 Le projet a obtenu la labellisation BiodiverCity®.
2 Vinci Immobilier.
3 Trois degrés d’écart ont été recensés à un an et demi de la date de livraison.
4 Une opération immobilière comprend environ 50 % de toitures qu’il faut rafraîchir également.
5 Plus de 500 jardinières au total.
6 Les jardinières sont au besoin transformables et déplaçables.
7 Plus de 2000 plantes grimpantes pour 350 logements répartis sur 10 bâtiments.
8 Pour autant, en 2023, seules 10 plantes grimpantes ont dû être remplacées après l’hiver.
9 L’entreprise du paysage dont le contrat arrivait à échéance en juin 2023 s’est vu renouvelé son engagement pour 2 ans.

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