« Le dialogue entre le paysage et l’architecture nourrit une expérience globale, source de réflexion sur les enjeux écologiques. »

_{Chantal Colleu-Dumond. © Guillaume Béguin.}

Le domaine régional de Chaumont-sur-Loire (41) s’articule autour d’un parc historique servant d’écrin au château, propriété à la Renaissance de Catherine de Médicis puis de Diane de Poitiers. Chaque année s’y déroulent le Festival international des jardins ainsi que la Saison d’art contemporain. Sa directrice, Chantal Colleu-Dumond, nous illustre l’évolution paysagère et la philosophie particulière de ce lieu hors normes.

Comment s’est engagé et traduit à la fin du XIX^e siècle ce dialogue entre le château et l’aménagement paysager ?

Le parc actuel est le fruit d’un aménagement voulu par la propriétaire, née Marie Charlotte Constance Say, qui avait acheté la propriété en 1875, et son mari le prince de Broglie. Nous disposons de rares sources documentaires sur l’histoire du parc avant cette époque, ce qui laissé le champ libre au paysagiste alors le plus en vogue de l’époque : Henri Duchêne¹. Celui-ci a conçu, avec son fils Achille, un parc à l’anglaise dont la syntaxe principale repose sur de grandes allées curvilignes qui ménagent des vues sur le paysage, sur la Loire et, bien entendu, sur le château². C’était une solution somme toute intéressante qui, avec le déplacement de constructions dont l’église et le cimetière, a donné au parc une amplitude et une tranquillité uniques tout en valorisant les cèdres et un mail de tilleuls préexistants.

Comment ce dialogue s’est-il renouvelé avec l’intervention du paysagiste Louis Benech d’abord ?

Quand Louis Benech est intervenu en 2011 pour restaurer le parc, il a magnifié et préservé l'héritage des Duchêne. Il a certes beaucoup replanté, car certains arbres étaient en mauvais état, notamment aux abords des bosquets, mais toujours dans une optique de filiation. Il a fait en quelque sorte réapparaître ce que le végétal avait un peu occulté avec les années en termes de perspectives notamment. Aujourd’hui, la Région continue de veiller à la bonne santé du patrimoine arboré et les jardiniers alimentent et prolongent cette approche en s’occupant de l’entretien et du suivi. Nous ne travaillons pas sur la structure du parc en tant que telle, mais nous veillons avec soin notamment sur nos grands seigneurs que sont les cèdres, arbres remarquables plantés en 1845…

_{À gauche : Le parc historique du château ; à droite : Le jardin de la fontaine anémone conçu par Jean-Philippe Poirée-Ville. © Éric Sander pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire.}

Comment et pourquoi ce dialogue s’est-il ouvert à l’art contemporain ?

Initialement, le Festival des jardins³ était géré par une association complètement distincte du château. Puis, en 2007, il y eu un transfert de propriété du monument à la Région Centre. À partir de ce moment, un établissement public a été créé reposant sur trois piliers : patrimonial, jardinistique et artistique avec un focus contemporain sur la thématique de la nature. Dans sa partie historique, le parc est donc à la fois un lieu de promenade, d’apaisement et une invitation à découvrir des œuvres artistiques. C’est pourquoi, j'y invite des artistes à interagir à la fois avec le paysage et l'architecture⁴, avec toujours pour moi la préoccupation que s’instaure entre eux un dialogue fécond, extrêmement respectueux de l'esprit du lieu et très articulé entre le « grand » paysage et le paysage du parc. Il s'agit de trouver la « juste place » où sera installée une œuvre, qui donne l'impression qu’elle a toujours été là. C'est un travail un peu particulier que j'effectue en concertation avec les artistes. Ainsi les œuvres sont-elles souvent situées à la périphérie du parc pour que le visiteur moins familier de l’art ne soit pas heurté par leur présence. De plus, chaque œuvre a son espace. Je n’apprécie pas la co-visibilité, qui peut parfois être le défaut des parcs de sculptures.

Quels sont à vos yeux les enjeux paysagers prioritaires en termes de valorisation du patrimoine historique ?

Chaumont, c'est un microcosme vert… Je cherche à plonger les visiteurs, qui viennent souvent d'un environnement urbain, dans un univers qui est celui du végétal. Cette immersion dans les jardins abaisse immédiatement les tensions et met nos publics, aussi divers soient-ils, dans un état de réceptivité propice à l’art et à la culture. J’aime travailler avec cette émotion et proposer ce partage de l’art qui est à la base de la philosophie du domaine. L’expérience globale, qui joue aussi bien avec le paysage que l'architecture, offre une sorte de bien-être et, je l’espère, une vision un peu plus positive du monde.

_{Le Chant du sel conçu par Félix de Rosen, Éric Futerfas et Bruno Derozier. © Éric Sander pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire.}

Quelles perspectives complémentaires apporte le Festival international des jardins ?

Ce qui est important pour moi, s’agissant du Festival international des jardins, c'est son double aspect : observatoire et laboratoire. Toute proportion gardée, Chaumont est un lieu pertinent pour amener à la prise de conscience d'un certain nombre de réalités écologiques qui nous concernent tous. À travers les thématiques que nous avons explorées (la biodiversité heureuse, le retour à la terre mère, le biomimétisme et cette année le jardin résilient…), je souhaite amener nos visiteurs à imaginer des solutions avec nous.  Notre devise est, du reste, « Venez piquer nos idées ». Nous espérons que ce que nous semons littéralement (chaque jardin comprend de 100 à 200 espèces différentes), derniers en date le jardin sec de James Basson⁵ ou la forêt du futur de Bas Smets, incite les gens à réfléchir et à s’inspirer de nos initiatives. Cette inventivité permanente provient des paysagistes du monde entier, mais aussi de nos équipes ; nous avons tous à cœur de conserver par tous les moyens possibles ce joyau inestimable que constituent nos jardins !

_{¹ Henri (1841-1902) et Achille (1866-1947) Duchêne sont deux architectes paysagistes fervents défenseurs du retour du jardin traditionnel à la française.
² Les travaux ont duré de 1884 à 1888.
³ Créé en 1992.
⁴ Une quarantaine d’œuvres pérennes sont actuellement présentées outre les créations des 15 artistes invités en 2023.
⁵ L’édition 2023 du Festival international des jardins a pour thème le « jardin résilient ». À cette occasion, le paysagiste anglais James Basson a créé un « jardin microcosmique » dans la cour de la ferme.}