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Loïc Pianfetti. © Sylvain Renard.
Paysagiste concepteur DPLG et responsable du pôle Paysage et Biodiversité chez SNCF Réseau, Loïc Pianfetti travaille au quotidien avec son équipe, le paysage lié aux espaces ferroviaires. Entre contraintes techniques, fonctionnelles ou urbaines, il nous livre son approche du métier.
Le chemin de fer fait partie du paysage, il le structure. Il peut le constituer en totalité, être un objet comme un autre, ou bien être moteur de fabrication de ce même paysage. Depuis les années 1990-2000, je défends l’idée que, par un jugement multicritère basé sur le choix des tracés et des options techniques, nous pouvons obtenir un résultat respectueux, tant des paysages que de chacun des éléments amenant le paysage à être de facto transformé. Le paysage est vivant, il raconte quelque chose. C’est une photographie d’un moment de civilisation et d’économie. Quand on regarde un paysage, on a sous les yeux le résultat d’une histoire, mais aussi de fonctions et d’usages actuels. La question est donc de savoir comment on le modifie. Est-ce qu’on perd ce fil-là, ou, au contraire, essaie-t-on de le conserver ? La SNCF s’inscrit au cœur de ce tissage et participe au (re)questionnement des territoires en fonction des enjeux contemporains, notamment ceux liés à la transition écologique et à la maîtrise de l’énergie.
Quand les technologies et l’énergie étaient limitées, les ingénieurs pionniers du chemin de fer suivaient, par nécessité, les formes du paysage et y intégraient les lignes harmonieusement. Je pense qu’on doit, même avec les contraintes que sont les profils en long ou les courbes réglées de la LGV par exemple, se poser la question d’une insertion harmonieuse dans un territoire, notamment en réfléchissant à la façon dont on utilise et dépense l’énergie. Mettre les moyens techniques au service du territoire. Une réflexion dans ce sens permet aussi de mutualiser certaines fonctions et c’est précisément là où le paysage joue un rôle déterminant par sa dimension systémique et intégrative. La force du paysage, c’est d’arriver à assembler des éléments ayant des fonctionnalités différentes, d’identifier des lieux où ces fonctions peuvent être mises en commun et, finalement aussi, en créer de nouvelles.
Gare de Lisieux (14). © Alexandre Petzold.
Il est indispensable de décloisonner et de penser à l’objectif global du projet en commençant par se poser les bonnes questions très en amont, dans la programmation notamment. Il arrive très fréquemment que plusieurs acteurs (SNCF Gares et connexions, SNCF Réseau, les communes…) soient maîtres du foncier entre le bâtiment de la gare, les quais, le parvis, les voies, les parkings, la voirie … etc. Il faut donc idéalement mettre en commun les énergies, les ressources et le foncier pour trouver une solution optimisée. Somme toute, on arrive ainsi à composer un espace plus intelligent avec une démarche qui peut être étendue à des cheminements piétons et ainsi de suite.
Si l’on prend par exemple le sujet de l’eau, pour en gérer les contraintes de volume au mieux, il faut mutualiser les fonciers disponibles et la diriger au plus près des surfaces qui la recueille tout en désynchronisant son écoulement lors de son parcours spatial.
Un autre point de réflexion avec les parties prenantes concerne la densité des constructions urbaines et la réversibilité des équipements, y compris les espaces plantés, qui sont amenés à évoluer en adéquation avec l’espace disponible de manière transitoire et frugale. En d’autres termes, il faut partager le territoire public compris dans le sens de foncier public. Les citoyens doivent pouvoir transiter dans la ville selon des parcours de qualité, depuis leur habitation jusqu’à la gare, que ce soit à pied, à vélo ou en auto : l’assemblage spatial doit comprendre l’ensemble de l’expérience du voyage.
Il faut arriver à mettre en place ce système d’échanges que j’appelle le foncier d’usage. Et, pour cela, il faut avoir une vision inclusive et collective au service de la sphère publique. Certains élus locaux en ont parfaitement conscience, d’autres moins… La mission première de la maîtrise de la végétation à la SNCF consiste à empêcher que les arbres ne tombent sur les voies et ne bloquent la circulation, ce n’est pas d’aménager les talus. Pour autant, l’intérêt de tous est de bénéficier d’un environnement plus qualitatif et agréable. Plus que le maire, notre interlocuteur est le plus souvent le maître d’ouvrage. Saisir les finesses des réalités et des besoins territoriaux est un prérequis pour préciser le programme d’aménagement, voire l’infléchir, et en garantir la qualité finale. Ces contacts ne peuvent se prendre que très en amont, d’où l’importance d’associer les paysagistes dès le début, avec les ingénieurs. C’est la combinaison de plusieurs scénarii, reposant certes sur des bases techniques, qui permet d’avancer en itération, d’ajuster au plus près pour chaque projet.
Le projet de Lisieux (14) est emblématique des défis d’aménagement transverses d’un espace détenu par plusieurs parties. Ici, la présence de la basilique Sainte-Thérèse au sortir de la gare posait aussi la question de la prise en compte d’un monument historique classé, d’un site patrimonial et paysager très fort. La mise en place d’une passerelle, qui facilite entre autres l’accès aux quais notamment pour les personnes à mobilité réduite, a permis de supprimer l’espace souterrain trop souvent inondé, tout en ouvrant le bâtiment et les voyageurs à la ville et au sanctuaire religieux. Afin d’amener le paysage à la gare, nous avons également introduit une pinède entre les quais qui permet d’offrir une salle d’attente végétalisée, ainsi qu’un bassin de rétention d’eau dans lequel la passerelle se reflète en cas de pluie. Elle redessine l’horizon de la gare et la rattache à la colline couverte de pins surmontée de la basilique. Une fois de plus, nous avons tenté de remplir le cahier des charges en étant, et en rendant le paysage, vertueux, dans l’objectif de concevoir la première passerelle végétalisée d’Europe avec une attention toute particulière pour le développement durable.
La création du Tram 13, qui a permis de relancer la ligne de Saint-Cyr à Saint-Germain-en-Laye (78), interrogeait pour sa part l’homogénéité, ou l’incongruité, entre cet élément technique et cet espace caractéristique des XVIIe et XVIIIe siècles par la présence du Château de Versailles, des jardins de Le Nôtre, etc. Dans ce cas, nous avons redressé la trajectoire de l’allée royale de Villepreux, dans l’axe du Grand Canal, de sorte à obtenir l’écartement maximal des caténaires pour ne pas entraver cette perspective historique unique.
Ces deux exemples, parmi tant d’autres, soulignent encore une fois l’importance d’intégrer le chemin de fer dans le paysage de façon systémique et structurante.
À gauche : Gare de Lisieux (14). © Alexandre Petzold. À droite :
Projet d’aménagement de la ligne 13 du tramway de Saint-Cyr à Saint-Germain-en-Laye (78). © Alexandre Martin / digital-clouds.
À la ville comme à la campagne, les infrastructures ferroviaires, par leurs spécificités techniques et leurs fortes contraintes d’exploitation et de maintenance, requièrent une approche particulière du paysage. De l’entretien de la voie aux aménagements urbains de grande ampleur en passant par la végétalisation des abords de gare, revue de détails.
Composante du cahier des clauses techniques générales (CCTG), le nouveau fascicule 35 publié le 9 octobre dernier, a pour objectif d’assurer la qualité et la pérennité des projets publics et privés.