« L’agriculture urbaine donne un nouveau souffle aux espaces abandonnés »

Guillaume Morel-Chevillet, responsable végétal urbain à l'institut technique de l'horticulture ASTREDHOR
Point de vue - Le 12 décembre 2019


Auteur de l’ouvrage « Agriculteurs urbains : du balcon à la profession » (Ed. France Agricole), Guillaume Morel-Chevillet est responsable végétal urbain au sein d’ASTREDHOR, l’institut technique de l’horticulture. Il explique comment les projets d’agriculture urbaine agissent au service de nos villes et comment ils peuvent être vecteurs de lien social.

© Guillaume Morel-ChevilletL’agriculture urbaine est souvent présentée comme un vecteur de lien social. Comment cela se traduit-il concrètement ?

À l’origine, le terme d’agriculture urbaine faisait surtout référence aux jardins partagés et aux jardins familiaux, pouvant parfois aller jusqu’à 100 m2 par foyer. Ces espaces constituaient de fait des lieux de partage et d’échange au sein des familles. Aujourd’hui, l’agriculture urbaine se professionnalise mais, hormis les fermes très technologiques, de nombreux projets portent une dimension sociale. Ces nouveaux espaces économiques sont souvent des chantiers d’insertion sociale, comme « le Paysan urbain » dans les quartiers nord de Marseille (13), qui fédère salariés, bénévoles et services civiques.
Fait intéressant, on constate un changement de comportement alimentaire chez les individus qui font ensemble l’expérience d’intervenir sur le paysage à dessein de le rendre comestible. Ces derniers adoptent des pratiques de consommation plus saines et plus respectueuses de l’environnement.

Par-delà son rôle économique et social, en quoi l’agriculture urbaine peut-elle rendre des services à la ville ?

Les espaces d’agriculture urbaine, îlots de verdure, permettent de développer la biodiversité en ville, de réguler l’eau grâce aux sols végétalisés – qui permettent notamment d’éviter les débordements –, et d’améliorer le climat urbain en créant des îlots de fraîcheur. Ces bénéfices sont étudiés par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) via le projet « Semoirs » qui porte sur les micro-fermes urbaines et leurs sols.
L’agriculture urbaine offre par ailleurs des lieux de pédagogie relatifs à la gestion des déchets dans une logique d’économie circulaire. Il existe même des fermes urbaines professionnelles intégrées au sein des écoles, comme celle du collège Pierre Mendès France dans le 20e arrondissement de Paris par l’association Veni Verdi.
On le voit, ces projets permettent de donner un rôle et un nouveau souffle aux espaces abandonnés : friches, toitures et autres espaces publics non investis.

Quels conseils donneriez-vous aux municipalités pour la mise en place d’un projet d’agriculture urbaine ?

Il faut déjà s’entourer de bons professionnels pour comprendre la réalité humaine, économique et sociale dans lequel s’intègre un projet d’agriculture urbaine. C’est une chose de créer un beau projet, c’en est une autre de le rendre pérenne. En cela, le rôle du paysagiste est indispensable. Leur accompagnement est fondamental sur les projets agricoles de haute technicité, sur les toitures par exemple, ainsi que sur les problématiques d’entretien et de sécurité. Leur expertise a par exemple été indispensable à Lyon dans le cadre d’espaces pentus où il a fallu créer des terrasses et consolider les sols. Ne pas recourir aux professionnels du paysage, c’est prendre le risque d’avoir un chantier incomplet et des dépenses imprévues.

De façon plus générale, comment les élus peuvent-ils encourager l’agriculture urbaine et périurbaine au sein de leur commune ?

Une charte des bonnes pratiques1 à l’attention des collectivités a été créée par l’AFAUP2 pour une agriculture urbaine durable, déjà mise en pratique par la métropole Aix / Marseille, la ville de Paris ou celle de Rennes.
La priorité est de protéger le foncier agricole existant et de mettre des espaces publics à la disposition des particuliers, tout en limitant l’étalement urbain. Cette politique doit s’accompagner d’un soutien à l’écosystème de l’agriculture urbaine : réseaux économiques, associations, centres d’expertise.
Il ne faut pas sous-estimer l’investissement conditionnant de telles initiatives citoyennes. Un soutien local ou régional est en effet souvent apporté par les collectivités aux agriculteurs urbains, afin de leur fournir équipements nécessaires, comme c’est d’ailleurs le cas à Paris avec l’opération Parisculteurs qui existe depuis 2016. Ce modèle encore fragile financièrement doit être accompagné pour porter durablement ses fruits et produire des bénéfices écosystémiques.

Des actions pédagogiques et incitatives auprès des habitants peuvent aussi être menées. De nombreuses collectivités ont notamment instauré un « permis de végétaliser » pour inciter les habitants à concrétiser leurs projets.
À l’échelle territoriale, l’agriculture urbaine doit être pensée dans le cadre des projets alimentaires territoriaux (PAT) ainsi que des PLU(i)3. Il est important par ailleurs d’inclure les promoteurs immobiliers dans cette réflexion afin que leurs programmes prennent en compte l’agriculture urbaine de manière durable.
Cependant, si une collectivité choisit cette voie, l’erreur serait d’oublier les agriculteurs déjà existants dans les zones périurbaines. Il est essentiel de considérer ces espaces pour tisser des liens entre ville et monde agricole.

1 Charte de l’AFAUP avec les maîtres d’ouvrage s'engageant dans un projet d'agriculture urbaine durable.
2 Association française d’agriculture urbaine professionnelle.
3 Plan local d’urbanisme intercommunal.

photo © Guillaume Morel-Chevillet.

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