La requalification d’une friche industrielle à Poitiers en un centre de vie culturelle

Point de vue - Le 12 mars 2021



Îlot Tison. © Ville de Poitiers.

Charlotte Sauvion est paysagiste-concepteur et responsable du pôle paysage de la direction des Espaces Verts de la mairie de Poitiers. Elle est en charge des projets neufs et de réhabilitation de la ville et revient sur le réaménagement de l’Îlot Tison, une des dernières friches industrielles.


À quels enjeux avez-vous été confrontée dans le cadre de cette réhabilitation ?

En premier lieu à la question foncière et écologique liée au parc naturel urbain qui s’étend sur l’agglomération depuis une vingtaine d’années. Ce parc couvre aujourd’hui 350 ha et résulte d’une volonté politique d’acquérir des lieux en bord de rivière pour les rendre accessibles au public et préserver la biodiversité. Parmi les autres enjeux, nous voulions maintenir un environnement de qualité pour tous, prévenir les risques naturels – notamment les inondations – promouvoir la gestion différenciée, informer et sensibiliser les publics ainsi que favoriser les déplacements doux dans des sites apaisés.

Ce lieu accueillait une ancienne scierie datant du début du XIXe siècle sans problématique de pollution notable. En revanche, il avait été beaucoup remblayé au fil du temps.
Et, surtout, il se situe en zone inondable, ce qui nécessite des aménagements particuliers. Enfin, c'est aussi une zone archéologique par la présence d’un ancien moulin actif au Moyen Âge ce qui a nécessité d’entreprendre des fouilles, élément de contrainte à prendre en compte.

Comment avez-vous intégré les structures industrielles dans le projet d’aménagement paysager ?

La question de démolir / conserver a été posée : du fait de la zone inondable, toute nouvelle construction est interdite. Nous avons fait le choix de sauvegarder la halle en bois, en assez mauvais état mais que l’on a restructurée, comme objet de mémoire. Elle est devenue un élément central du parc, offrant une surface abritée d’environ 600 m².
Elle disposait aussi de turbines qui ont été restaurées dans le but éventuel de produire un jour de l’électricité.

Qu’est-ce qui a motivé votre choix d’en faire un espace vert à part entière ?

Plusieurs paramètres ont été pris en compte : la situation géographique de la friche, sa proximité avec le centre-ville, sa continuité avec le parc naturel urbain, son statut de zone inondable… C’est donc très naturellement que l'idée d’un parc s’est imposée. Sa situation en bord de rivière nous permettait en plus de créer une passerelle, dans le cadre des mobilités douces, assurant la connexion du centre-ville avec les périphéries un peu enclavées d’un point de vue piéton. Il y avait, à la clé, un enjeu de mixité et de diversité sociale, en particulier avec le quartier de la Mérigotte et le quartier des Trois Cités.
 

Qu’en est-il des autres friches industrielles de la ville ?

La plupart des autres friches se trouvaient dans les vallées. Il existait, le long de la Boivre, une énorme friche, très polluée, avec des entrepôts de fioul qui a été reconvertie en espace naturel. Notre dernier né est une ancienne station d’épuration abandonnée depuis les années 2010. Il était prévu de la démolir entièrement, mais suite au succès de l'aménagement de Tison, nous avons décidé d’en faire un parc axé sur la mémoire des lieux : on a conservé quelques ouvrages qui ont été mis en valeur par un paysagiste et une scénographe. Ce parc vient d’être livré et s’inscrit dans une continuité historique et politique de la ville, de ses rivières et de ses friches. L’idée est que cette démarche au long cours se poursuive et se développe sur l’ensemble du périmètre urbain.


Îlot Tison. © Karolina Samborska.

Quel est le retour d’expérience des habitants par rapport à cette nouvelle qualité d’usage ?

Dès le départ, nous avons organisé des réunions publiques et mis en place une forte communication sur le projet : les habitants ont tout de suite accroché, l’enthousiasme a été instantané. Pendant le chantier, on a même organisé des visites et une exposition sur le site.
La fréquentation a été tout de suite au rendez-vous. Les éco-compteurs ont révélé qu’on dépassait les 20 000 visites certains week-ends ! Nous recevons également de nombreuses demandes de compléments d’aménagements même si nous tenons à ce que l’espace reste le plus naturel possible. On a ajouté des arbres dont des espèces anciennes et locales ainsi que des tables de pique-nique car c’est le lieu propice grâce à l’ombre des arbres et la fraîcheur du cours d’eau. On organise aussi de nombreux événements, ce qui n’est pas toujours au goût des riverains… En contrepartie, tous les commerces alentour ont vu grimper leur activité et leurs revenus.

Quelles espèces de plantes avez-vous utilisées et d’où proviennent-elles ?

Nous avons planté des espèces locales. Tous les fruitiers ont été collectés dans la région (Maine-et-Loire ou en Touraine). C’était une volonté de notre part.
Nous avons aussi travaillé au confortement des berges qu’il a fallu recomposer parce qu’elles étaient très abruptes : on a choisi de les renforcer et de les restaurer en génie végétal en choisissant une partie des saules employés.
 

Comment avez-vous mené ce projet au sein de votre collectivité ?

Le programme de requalification a été coécrit par plusieurs services lors d’une table ronde avec l’urbanisme, l'environnement, l’immobilier, la voirie et la mobilité. Nous avons eu carte blanche avec seulement deux consignes de nos élus : créer un parc et un franchissement. À partir de là, la programmation s’est déroulée en interne, sans faire appel à un bureau extérieur. Nous avons consulté régulièrement les élus pour leur proposer des aménagements ou réclamer un arbitrage. Le fait qu’ils nous aient laissé une feuille de route pratiquement vierge nous a permis de laisser libre court à notre imagination. Ce qui montre bien qu’avec une volonté politique et une volonté des services de ville, on peut faire de belles choses !

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