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Réaménagement du centre-bourg de Fontevraud-l’Abbaye. © Arnaud Delacroix.
En milieu urbain comme en milieu rural, les monuments ou quartiers patrimoniaux ont souvent une identité minérale forte. Si certaines contraintes, indéniables, conditionnent la mise en œuvre du végétal dans ce contexte, le dialogue entre architecture et paysage ne manque pas d’atouts : valorisation de l’existant et des vestiges de l’histoire ; création de nouvelles perspectives, horizons et reliefs ; mais aussi camouflage de verrues et amélioration du cadre de vie… Le tout dans une optique de « ménager » plutôt que d’« aménager »1. Éclairage avec deux exemples prestigieux.
La requalification du bourg de Fontevraud-l’Abbaye (49)2 illustre différentes problématiques auxquelles sont confrontées bon nombre de localités françaises. Disposant d’un riche secteur patrimonial3, le centre-bourg était étouffé par le trafic routier et les revêtements goudronnés avec bordures de ciment qui éclipsaient totalement le bâti datant essentiellement des XVIIIe-XIXe siècles et assez dégradé. Grâce à une concertation riche et nourrie avec les parties prenantes4 et les habitants, un ambitieux projet a vu le jour sur la base d’une analyse détaillée du site et d’une révision complète des flux de circulation. « Les aménagements antérieurs étaient guidés par la voiture, explique Arnauld Delacroix, architecte paysagiste, directeur de l’agence Talpa, mais aujourd’hui l’élément essentiel c’est l’habitant, le touriste qui découvre les lieux et s’en empare. Les véhicules sont désormais invités à emprunter les mêmes espaces, mais de manière douce et apaisée ». Le projet a conduit à la réalisation d’une zone 20 – la première du département – et d’un espace partagé avec l’ambition, à terme, de piétoniser le centre-ville à longueur d’année5. « C’est à partir de cette réflexion sur la présence de la voiture que nous avons pu dégager des parts de liberté pour les ambiances et la végétalisation ». Le fil conducteur s’est coconstruit autour de rosiers grimpants qui ont servi d’assise à une palette végétale harmonieuse en termes de coloris et d’effets (vignes, hortensias, clématites, iris etc.). Chaque habitant a décidé si végétaliser ou non sa façade puis a procédé à ses propres plans de plantation. « Beaucoup de gens craignaient l’humidité, la fragilisation du bâti, l’entretien que peut demander le végétal, mais à force de dialoguer, c’est finalement 100 % de la rue d’Arbrissel qui a été végétalisée ! Compte tenu d’un espace disponible très contraint, nous avons fait appel à des techniques de vie du sol qui ne nécessitaient que de toutes petites fosses de plantation. » Les plantes s’y développent grâce à des bactéries (mycorhizes) qui transforment le minéral en éléments nutritifs pour les végétaux et sont également capables de gérer le cycle de l’eau. « Plus on utilise ces techniques alternatives, plus on s'aperçoit que c'est vertueux. Ce sont vraiment des solutions extrêmement simples, efficaces et peu coûteuses aptes à servir la transition écologique des villes. » L’entretien courant est assuré par les habitants avec l’intervention annuelle des services techniques de la mairie, en particulier pour tailler les parties hautes. Le fleurissement est présent dans le reste du village également via des arbres d’alignements ou d’autres plantations qui constituent, avec les fontaines, un refuge précieux pour la biodiversité. En fin de compte, la végétalisation a rendu de nombreuses maisons extrêmement esthétiques et bien intégrées au reste du tissu urbain tout en les valorisant d'un point de vue paysager.
Détails des plantations du centre-bourg de Fontevraud-l’Abbaye. © Arnaud Delacroix.
Vue d’ensemble du jardin du Pape au cœur du Palais des Papes d’Avignon. © Tout se transforme.
À Avignon, le réaménagement des jardins du Palais des Papes6 devait quant à lui répondre aux exigences d’un monument exceptionnel dont l’usage est passé d’un espace privé à disposition du pontife et de quelques prélats à des lieux fréquentés chaque année par 600 000 personnes ! Les trois jardins sont composés du jardin du Pape, du jardin du Palais et du verger Urbain V. Dans leur structure et leur composition, ils cherchent à révéler la genèse des différents jardins qui se sont succédé. « Le jardin du Pape n’est pas une reconstitution, c’est à la fois une évocation et une création adaptée au visage actuel du Palais, détaille Mirabelle Croizier, architecte du patrimoine au sein de l’agence Tout se transforme, les nouveaux aménagements permettent de lire la partition entre jardins, murailles et bâtiments aujourd’hui disparus. » Après une occupation centenaire du site par le génie militaire, les dessins des jardins médiévaux étaient complètement effacés. Les concepteurs se sont donc appuyés sur les données archéologiques et sur les archives. C’est ainsi que l’identification du parcours de l’eau, via la découverte d’une canalisation parcellaire, a donné naissance à une noue végétalisée ou que des listes de plantes médiévales ont servi de base à la palette végétale contemporaine. Différents milieux ont été introduits : dans la partie haute, une prairie fleurie avec la fontaine du griffon ; au pied du rocher un jardin sec, puis une section avec des bandes cultivées où figurent des espèces végétales méditerranéennes. « L’installation de pergolas en lieu et place d’anciens bâtiments tels que celui de La Roma participe également de cette approche en unifiant les jardins par un dessin architectural fort », ajoute Antoine Quenardel, paysagiste concepteur.
À gauche : Détail de la fontaine du griffon avec l’une des pergolas ; à droite : Détail du jardin sec au pied du rocher. © Tout se transforme.
Enfin, le jardin public en contre-bas comprend des équipements ludiques7 inspirées du bestiaire du Pape. À chaque étape, le projet a fait l’objet de discussions et d’ajustements avec la conservation du Palais, les Monuments Historique et la DRAC : les jardins ont été intégrés dans la refonte du parcours de visite pour créer un ensemble cohérent et une respiration dans un itinéraire très copieux. Le nouvel ensemble anticipe l’avenir tout en tenant compte du passé : respect de l’histoire et du lieu, espèces végétales peu gourmandes en eau, récupération des eaux pluviales, réhabilitation des puits… et fréquentation touristique en hausse !
Adapter les chantiers, les compétences, la gestion
« Quand on travaille sur un monument historique, il y a toujours une part d’aléa supérieure à un chantier traditionnel. Il faut notamment avoir le sens de l’échelle, des proportions, des mesures et des priorités. Les entreprises du paysage qui interviennent doivent faire preuve de sensibilité et maîtriser ces questions. », explique Antoine Quenardel. En effet, la mise en place des végétaux ne doit pas interférer dans les strates archéologiques ce qui exige une certaine souplesse en conception et en mise en œuvre. De l’omniprésence du bâti découlent également des contraintes d’accès et d’approvisionnement : il faut donc identifier le bon outillage et la bonne mécanisation. De plus, à Avignon par exemple, le Festival impose sa planification et des temps de pause (indépendamment des saisons idoines pour les plantations). « Comme c’est le cas pour d’autres corps de métiers, il faudrait que les entreprises du paysage aient une sorte de spécialité ou certification ad hoc monuments historiques… Nous devons de notre côté nous adapter aux nouveaux modes de gestion et proposer les solutions les plus adaptées. », conclut Mirabelle Croizier. « Notre rôle de paysagiste aujourd’hui va au-delà du paysage et du végétal en intégrant a minima les voiries et réseaux divers (VRD). », renchérit Arnauld Delacroix.
1 La formule est d’Arnauld Delacroix.
2 Victoire de bronze du Paysage 2016, catégorie Aménagement.
3 Outre l’Abbaye royale (inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco) dont les campagnes de restauration sont indépendantes du village.
4 Municipalité, architectes des bâtiments de France, DREAL.
5 Lorsque les grands parkings extérieurs seront réalisés.
6 Victoire d’or du Paysage 2022, catégorie Patrimoine.
7 À la place de la Mirande édifié au XVIIe siècle.
Le domaine régional de Chaumont-sur-Loire (41) s’articule autour d’un parc historique servant d’écrin au château, propriété à la Renaissance de Catherine de Médicis puis de Diane de Poitiers. Chaque année s’y déroulent le Festival international des jardins ainsi que la Saison d’art contemporain. Sa directrice, Chantal Colleu-Dumond, nous illustre l’évolution paysagère et la philosophie particulière de ce lieu hors normes.